histoire pour avancer

Celui qui a une chanson aura la tempête

celui qui a de la compagnie de la solitude.

Celui qui suit le bon chemin trouvera des chaises dangereuses pour l’inviter a s’arrêter.

Mais la chanson vaut une bonne tempête,

et la compagnie vaut la solitude,

l’agonie de la hâte vaut toujours

même si la vérité s’emplit de chaises.

(Chanson)

Il y a beaucoup d’histoires, quand les tous premiers dieux, ceux qui ont fait le monde, se promenaient encore dans la nuit ; deux dieux se parlent, ce sont l’Ik’al et le Votan. Tous deux n’étaient qu’un seul. Lorsque l’un se retournait, l’autre apparaissait et lorsque l’autre se retournait, on pouvait voir le premier. Ils étaient opposés. l’un était lumière, comme une matinée de mai à la rivière. L’autre était sombre, comme une nuit froide dans une grotte. Ils étaient la même chose. Tous deux ne faisaient qu’un, parce que l’un faisait l’autre. Mais ils ne marchaient pas ; ces dieux, qui étaient et restaient toujours à la même place sans bouger. « Qu’est-ce qu’on fait ? » demandèrent-ils tous les deux. « La vie est triste comme ça, si on reste juste comme ça », se lamentaient les deux qui n’étaient qu’un ensemble. « La nuit ne passe pas » dit l’Ik’al. « Le jour ne passe pas », dit le Votan. « Marchons », fit l’un qui était deux. « Comment ? » demanda l’autre. « Vers où ? » demanda le premier. Et ils virent qu’ils s’étaient ainsi un peu déplacés, d’abord pour demander comment, ensuite pour demander dans quelle direction. Celui qui était deux fut bien content de voir qu’ils se déplaçaient un petit peu. Tous deux voulurent bouger en même temps mais ça ne marcha pas. « Comment faire ? » Ils se penchaient pour voir, l’un d’abord, l’autre ensuite, et ils se déplacèrent encore un peu. Ils virent qu’en le faisant l’un d’abord, l’autre après, ils arrivaient à bouger, et ils se mirent d’accord sur le fait que, pour se déplacer, l’un devait bouger d’abord et l’autre devait bouger après, et ils commencèrent à se déplacer, et personne ne se souvient qui bougea le premier pour se mettre à bouger, tout heureux qu’ils étaient de se déplacer et « qu’importe celui qui a bougé le premier, puisque nous bougeons désormais », disaient les deux dieux qui étaient le même ; et ils riaient, et leur première décision commune fut de danser, et ils dansèrent, un petit pas pour l’un, un petit pas pour l’autre et ils dansèrent longtemps parce qu’ils étaient contents de s’être trouvés. Ils en eurent bientôt assez de tant de danses et tentèrent de voir ce qu’ils pouvaient faire d’autre. Ils virent que la première question : « comment bouger ? » avait apporté la réponse : « ensemble mais séparés et d’accord », et cette question ne les intéressait plus, puisqu’au moment d’y répondre ils bougeaient déjà, et l’autre question arriva quand ils virent qu’il y avait deux chemins : le premier était très court et s’arrêtait tout près, on voyait bien qu’il n’allait pas très loin, ce chemin-là, et l’envie de marcher que ressentaient leurs pieds était telle qu’ils décidèrent rapidement qu’ils n’avaient pas très envie de le prendre et ils se mirent d’accord pour parcourir le chemin long, et ils allaient commencer à le suivre, lorsque le choix du chemin long apporta une autre question : « Où mène ce chemin ? » Ils mirent du temps à chercher la réponse, et soudain vint à l’esprit des deux qui étaient un, l’idée que ce n’était qu’en le prenant qu’ils sauraient où menait le chemin long. Et alors, l’un qui était deux se dit : « Allons-y, prenons-le », et ils se mirent a avancer sur le chemin, l’un d’abord, l’autre ensuite. Ils virent tout de suite que ça prenait longtemps de suivre un chemin long, et alors leur vint une autre question : « Comment faire pour marcher longtemps ? » et ils restèrent un bon moment à penser, et alors l’Ik’al dit clairement qu’il ne pouvait pas marcher le jour et Votan ajouta que lui, la nuit, il avait peur de marcher et ils pleurèrent un bon moment, et dès que leurs pleurnicheries s’arrêtèrent, ils se mirent d’accord et virent qu’Ik’al pouvait très bien marcher la nuit, et que Votan pouvait très bien marcher le jour et qu’Ikal porterait Votan la nuit et c’est ainsi qu’ils surent comment marcher tout le temps. Depuis lors, les dieux avancent en posant des questions et ils ne s’arrêtent jamais, ils n’arrivent jamais et jamais ils ne partent. Et c’est ainsi que les hommes et les femmes vrais apprirent que les questions servent à avancer, pas à rester sur place. Et, depuis lors, les hommes et les femmes vrais interrogent pour marcher, disent au revoir en arrivant et bonjour en partant. Ils ne restent jamais en place.

Extrait de Sous-Commandant Marcos, lettre a qui de droit, 13 /12/94

 

 

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